Spiritualité et capitalisme : du développement personnel à l’ésotérisme de marché
- Québec Occulte
- il y a 17 heures
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Encens, cristaux, formations certifiantes, retraites spirituelles à Bali, abonnements astrologiques mensuels… L’occultisme et la spiritualité ne sont plus cantonnés aux marges : ils sont désormais des produits vendus, packagés, monétisés. Ce phénomène, qu’on peut appeler “ésotérisme de marché”, révèle un basculement majeur dans la manière dont les sociétés contemporaines consomment le sacré.
Alors, simple vulgarisation nécessaire… ou dérive commerciale du spirituel ? Cet article invite à une réflexion critique et nuancée.

Origine : entre quête de sens et industrialisation du bien-être
Dès les années 1980–1990, le développement personnel s’est installé comme une réponse à la crise de sens des sociétés postmodernes :
Affirmation de soi,
Méditation de pleine conscience,
Visualisation créatrice,
Spiritualité “hors religion”.
Ce mouvement, à l’origine libérateur, s’inscrit dans un modèle économique néolibéral, en mettant l’accent sur :
L’individu plutôt que la communauté,
L’optimisation de soi plutôt que la transformation collective,
La responsabilisation psychologique (tu es seul maître de ton bonheur ou de ton échec).
L’ésotérisme, dans cette mouvance, devient un outil de performance personnelle, parfois déconnecté de ses racines initiatiques, symboliques ou communautaires.
Évolution : l’ésotérisme comme produit de consommation
Aujourd’hui, on observe une explosion du marché spirituel :
Coaching ésotérique,
Branding “witchy” pour marques de cosmétiques,
Livres de sorcellerie en grande surface,
Masterclasses de tarot, rituels de nouvelle lune en ligne, etc.
Cette tendance pose plusieurs enjeux :
Désacralisation : quand le rituel devient routine vendable, le sacré perd-il sa profondeur ?
Inégalités d’accès : les retraites de bien-être, formations ou objets “spirituels” sont souvent coûteux.
Récupération symbolique : certaines marques exploitent des symboles magiques sans respect culturel ni fondement.
Spiritualité performative : on affiche sa pratique pour son image plus que pour sa transformation intérieure.
Mais il ne s’agit pas de tout rejeter : cette marchandisation reflète aussi une demande réelle pour du sens, du mystère et du soin, dans un monde désorienté.
La rencontre entre spiritualité et capitalisme n’est pas nouvelle, mais elle prend aujourd’hui une ampleur inédite. Ce que nous vivons, c’est la mutation du sacré en service, de l’initiation en offre, du mystère en produit. Cette dynamique soulève autant de possibilités de démocratisation que de risques de dénaturation.
Mais plutôt que de rejeter en bloc cette évolution, il s’agit d’en prendre conscience : distinguer entre ce qui soigne et ce qui vend, entre la quête sincère et l’emballage marketing, entre le rituel vécu et la tendance affichée.
La spiritualité contemporaine ne pourra rester vivante qu’en cultivant l’éthique, la profondeur et l’intégrité dans ses formes, même lorsqu’elle emprunte les chemins du marché. Car au cœur du sacré, il y a une chose qui ne se vend pas : la vérité intérieure.
Bibliographie et sources
Carrette, Jeremy & King, Richard. Selling Spirituality: The Silent Takeover of Religion. Routledge, 2005.→ Analyse critique de la manière dont la spiritualité est intégrée au marché néolibéral.
Houtman, Dick & Aupers, Stef. “The Spiritual Turn and the Decline of Tradition: The Spread of Post-Christian Spirituality in 14 Western Countries, 1981–2000.” Journal for the Scientific Study of Religion, 2007.→ Étude sociologique sur la montée de la spiritualité individuelle hors cadre religieux.
Han, Byung-Chul. La société de la transparence. Actes Sud, 2017.→ Pour comprendre la pression contemporaine vers la performance de soi, y compris dans les sphères spirituelles.
Heelas, Paul. Spiritualities of Life: New Age Romanticism and Consumptive Capitalism. Blackwell, 2008.→ Lien entre mouvements New Age et logique de consommation.
Zarcone, Thierry. Le marché de l'ésotérisme. CNRS Éditions, 2014.→ Étude approfondie du développement du marché ésotérique en France.
Articles et ressources complémentaires :
The commodification of spirituality, The Guardian
Quand la spiritualité devient un produit de luxe, Slate.fr
Podcasts « Émotions », épisode : Pourquoi le développement personnel est partout ?
Comptes Instagram de critiques ésotériques comme @ThatWitchNextDoor ou @MarieChichi (pour la critique du witch branding)
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