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De la sorcellerie à la spiritualité moderne : une réhabilitation culturelle

Pendant des siècles, le mot sorcière a été chargé de peur, de danger et d’accusations. Aujourd’hui, il réapparaît dans les biographies Instagram, sur les t-shirts revendicateurs et dans les pratiques spirituelles de milliers de personnes à travers le monde. Cette transformation radicale, presque paradoxale, marque une véritable réhabilitation culturelle de la figure de la sorcière. Mais comment est-on passé de la chasse aux bûchers à -l'empowerment- spirituel?

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Origine : répression, superstition et pouvoir social

L’image de la sorcière dans l’imaginaire occidental est profondément marquée par des siècles de répression institutionnalisée. Entre le XVe et le XVIIe siècle, l’Europe est secouée par des vagues de chasses aux sorcières orchestrées par les autorités civiles et religieuses. Des milliers de femmes — mais aussi certains hommes — furent accusés de pactiser avec le diable, d’ensorceler les récoltes ou de jeter des sorts à leurs voisins.

Ce phénomène n’est pas simplement religieux : il s’enracine aussi dans des structures de pouvoir patriarcales et dans la peur du savoir populaire. Les femmes guérisseuses, sages-femmes ou herboristes, porteuses de traditions ancestrales, étaient souvent ciblées. Leur savoir empirique faisait d’elles des figures à la fois indispensables… et menaçantes.

À cette époque, la sorcellerie devient le bouc émissaire idéal pour expliquer les catastrophes naturelles, les épidémies ou les tensions sociales. Dans l'inconscient collectif, la sorcière incarne le désordre, la transgression et le danger invisible.


Évolution : du rejet à la réappropriation

À partir du XXe siècle, et surtout dans la deuxième moitié, un mouvement de réappropriation commence à émerger. D’abord dans les cercles ésotériques avec la montée du néo-paganisme (comme la Wicca fondée par Gerald Gardner), puis dans des mouvements féministes qui voient dans la figure de la sorcière un symbole de résistance et d’autonomie.

Dans les années 1970, le slogan « We are the granddaughters of the witches you weren’t able to burn » apparaît dans les milieux militants. La sorcière devient une figure politique, un archétype de l’indépendance et de la connexion au savoir oublié.

Au XXIe siècle, cette tendance s’amplifie avec les réseaux sociaux. Sur Instagram, TikTok ou YouTube, des milliers de « witch influencers » partagent des tirages de tarot, des rituels de pleine lune, des recettes de potions naturelles et des réflexions sur la spiritualité personnelle. Ce mouvement, parfois nommé #WitchTok, remet au goût du jour une spiritualité libre, intuitive, connectée à la nature, mais aussi à la technologie.

Ce renouveau n’est pas qu’esthétique ou superficiel. Il s’inscrit dans une quête identitaire et spirituelle moderne : dans un monde hyper rationnel, incertain et souvent déconnecté du sacré, de plus en plus de personnes cherchent à retrouver des pratiques symboliques, magiques ou rituelles — en dehors des cadres religieux traditionnels.


📚 Pour aller plus loin

  • Silvia Federici, Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, Éditions Entremonde, 2014.→ Analyse socio-historique du rôle de la répression des femmes dans la naissance du capitalisme.

  • Mona Chollet, Sorcières : la puissance invaincue des femmes, Éditions Zones, 2018.→ Une relecture contemporaine de la figure de la sorcière dans une perspective féministe et culturelle.

  • Ronald Hutton, The Triumph of the Moon: A History of Modern Pagan Witchcraft, Oxford University Press, 1999.→ Étude universitaire de l’émergence de la Wicca et du néo-paganisme au XXe siècle.

  • Élisabeth Belmas, La Sorcellerie, Gallimard (Découvertes), 1998.→ Une synthèse accessible et bien documentée sur la chasse aux sorcières en Europe.

  • Helen Berger, Teenage Witches: Magical Youth and the Search for the Self, Rutgers University Press, 2007.→ Exploration du rôle de la sorcellerie moderne chez les jeunes et son lien avec les constructions identitaires.

  • #WitchTok (TikTok)→ Phénomène social et culturel à observer directement sur les plateformes, reflet d’un renouveau spirituel numérique.



De l’ombre des bûchers à la lumière des écrans, la sorcellerie a traversé les siècles en se métamorphosant. Longtemps utilisée pour contrôler, exclure ou effrayer, elle est aujourd’hui réinvestie comme un espace de liberté, de reconnexion et d’affirmation de soi. Cette réhabilitation culturelle de la figure de la sorcière révèle beaucoup plus qu’un simple effet de mode : elle exprime un besoin profond de spiritualité non dogmatique, d’héritage réenchanté et de puissance personnelle.


En se tournant vers les savoirs anciens, en réinventant des rituels adaptés à la vie moderne, des milliers de personnes redonnent sens à des traditions longtemps marginalisées. La sorcière contemporaine n’est plus celle qu’on redoute : c’est celle qu’on consulte, qu’on suit et parfois qu’on devient.

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